06 décembre, 2005

PAS DE CONTRAT DANS LA HOTTE


La fin de l'année approche et il faut se rendre à l’évidence : Tanger n’aura pas un nouveau contrat en poche d'ici les douze coups de minuit comme je l’espérais, histoire d'entamer 2006 sous une bonne étoile pour le groupe. Il va encore falloir se battre et continuer ces rendez-vous navrants avec des D.A. peu éloquents et aux compétences souvent douteuses. Ces rendez-vous "d'écoute" - où l'on entend pratiquement jamais rien - me sortent par les yeux. J’en ressors toujours ultra-perplexe, tiraillé entre l'envie de présager une perspective malgré tout, et celle plus furieuse, de rallier illico le point de fuite, tant le niveau des échanges est consternant.
Ni amertume ni découragement - le nouveau cru de Tanger est exceptionnel, il finira bien par s’épanouir dans vos palais -, mais une réelle déception devant les "responsables artistiques" croisés cet automne et parmi lesquels je serais bien en peine de distinguer plus d’une "figure", sinon courageuse au moins sympathique et inspirée. À l'exception de Fred au Village Vert, c’est un défilé de clowns tristes et impuissants auquel nous avons assisté.
J'ai été frappé de constater ceci : entre un directeur artistique de label indépendant et un programmateur de radio commerciale, il ne semble plus y avoir aucune différence. Ce sont les mêmes discours et les mêmes attitudes. Leur mode de fonctionnement préféré : laisser pourrir les choses.
Ne pas rappeler, ne pas répondre, annuler un rendez-vous au dernier moment, baisser les yeux en cas de rencontre fortuite : ces sales manies ne sont certes pas la dotation exclusive des employés de l'industrie musicale, ce sont des manques de civilité banals de nos jours, symptômes de tous ceux qui ne sont pas à leur place. Cependant comment être enthousiaste à l'idée d'aller confier une oeuvre là où de fait, il n'y a plus d'interlocuteur, pas de face ?
Malheureusement, en haut des organigrammes, personne n'est là pour montrer l'exemple. Bien au contraire. Les années de plomb du règne NÈGRE-GUAZZINI & consorts auront été durablement fatales à l'industrie du disque en France. Leurs clones placés à tous les échelons, continuent de faire des ravages sur la création en s'agitant sur les rejetons des programmes de télé réalité ou sur les fléaux des comédies musicales. Le manque de compétences réelles qui parade à tous les étages des majors s'aggrave du comportement lamentable de nombre de leurs employés, enflés la plupart du temps, parce qu'ils ont le sentiment, comme le type du cirque qui maintient un seau au cul de l'éléphant, de faire partie du show business.
Une anecdote : Le 9 janvier 2003 il faisait froid à Paris, les pavés étaient particulièrement glissants. J’avais rendez-vous à 17 heures avec Pascal Nègre, afin de lui remettre les mixages définitifs de « L’amour fol » (le quatrième album de Tanger). À 16 h 55, derrière le Panthéon, une voiture m’a coupé la route et a heurté le scooter. Le choc fut suffisamment violent pour que mon casque s’éjecte à plus de 10 mètres : traumatisme crânien classique. Ramassé par les pompiers et emmené aux urgences de Cochin pour y être recousu au niveau de l'arcade. Sortie des urgences deux heures plus tard, je décidais de retourner à mon rendez-vous chez Universal.
Sonné et le blouson copieusement drippé de brun douteux (je réaliserai vraiment une fois rentré à la maison), j’attends donc devant le bureau de Nègre avec Dantès, le manager de Tanger, encore tout retourné par mon accident et contrarié que je ne sois pas rentré me reposer.
Au bout de trois quart d'heure, Nègre sort enfin et se dirige vers moi : « Entrez Tanchher… », puis remarquant un petit cœur en brillants sur ma manche, ne me lâchant plus la main : « Hmm c’est mignon ça…». Il paraît ivre, il ne s’aperçoit même pas que j’ai un léger problème au niveau temporal gauche. Je lui remets un disque comportant les mixages fraîchement terminés de la veille avec Kid Loco. Il me promet qu’il écoutera et m’enverra un petit mot (je n'ai jamais rien reçu), puis il se fend d’un «Tanger : tout le monde m’en parle !».
Je me retire rapidement, Santi et lui ont une affaire de la plus haute importance sur les bras... une chanteuse sévissant sous le nom de Nolwenn s’oppose à la sortie de l’album de la star académycienne du même prénom. À quelques jours de la sortie, il faut passer au pilon la première fabrication. Santi me prévient qu'ils n'en auront pas pour longtemps et demande qu’on l’attende : il voudrait découvrir "Botox planétaire".
Au total, nous resterons à attendre plus de deux heures ! Pourquoi être restés ? Je ne sais pas vraiment. Le plaisir ou la fierté de faire découvrir le boulot peut-être, le fait d’avoir pris un sérieux coup à la tête auparavant…
Épuisé et encore un peu sonné, je m’adosse au mur longeant le bureau de Nègre. Je me laisse glisser jusqu’à être assis sur mes talons, puis je reparcours le Libé du jour. Soudain, Nègre sort, manteau jeté sur les épaules, long drink à la main, il passe devant moi et dit : «Tiens un SDF !».
Ne cherchez pas de morale à cette histoire.