31 octobre, 2005

FROM BARFLEUR


Une semaine bientôt que je suis à Barfleur - au pied du phare de Gatteville - et Château Gonzo est hanté de silence. C'est ainsi, la terre me tait, la mer me mute. Je suis taciturne autour du soleil.
Pourtant, il s'en est passé des choses depuis la dernière fois. C'est fou d'ailleurs ce qu'il s'est passé comme chose. Je m'aperçois que ce blog qui pousse à triturer les résidus des dernières heures, comme on le fait d'un bâton dans les cendres qui à l'aube crient encore, révèle de façon burlesque la diversité des situations traversées dans nos vies. On y reviendra.


Au cours de ces derniers jours donc, j'ai vécu une sorte d'oscillation aléatoire, entre deux perspectives, aussi palpitante l'une que l'autre : la faillite proche et la veille d'une reconnaissance massive.
Entre les deux : des heures de studio, haletantes et heureuses ; des heures à agencer du temps, à jouer avec le son, à tenter de faire mieux que le silence. Des heures d'amour, de physique des liquides, de chavirements brusques et d'empoisonnement aux phéromones. Des heures à mélanger, à rouler, à fumer, à associer, à mélanger, à rouler, à fumer. Des heures troubles dans le frigo noir du matin, à attendre que le corps veuille bien suivre l'esprit. Des heures de transports dans Paris, de calculs d'itinéraire et de distances, d'analyse du flux et de prévoyance des chocs. Des heures de piétinement çà et là, à mordre ses dents. Des heures à attendre. Des heures d'affrontements, d'inimitié, d'injustice et de cruauté. Des heures de fuite, de clandestinité, de mobile éteint. Des cimes qui s'égouttent, soudain criblées de soleil. Des heures de rencontres, d'entente, de découverte, de révélation, d'élucidation. Des heures de petits plaisirs consentis: repas en famille, jeux, feux, cosmétiques, achats. Des heures de ballade en vélo au bord du littoral. Des heures immobiles à regarder un écran, à lire des pages, à en écrire, à projeter d'en écrire. Des heures de tendresse, de régression, d'attendrissement. Des heures de pédagogie, de manque de diplomatie, de brutalité. Des heures à compter les atouts et traquer des mots qui rapportent. Des mers d'huile, prises dans la gelée inflammable du couchant. Des heures d'immersion dans des séquences de film. Des heures à rire avec les miens, des heures à ressasser des bouts d'enfance. Des heures de mise en forme, d'ajustage, d'assemblage. Des heures à s'oublier, paupières fermées, des heures à défier demain.



Sur ma platine mentale "Good night Stan" de Bill Fay
Dans le lecteur, le LP de McCartney : quelle prodigieuse idée cette association avec Nigel Godrich ! Sur How kind of you, les vocalises auraient d'ailleurs pu être signées Tom Yorke...
En cours de lecture "Trois jours chez ma mère" de François Weyergans

LES AMANTS RÉGULIERS




François et Lilie. Voilà une semaine qu'ils sont entrés dans ma vie. J'ai tout de suite senti que ce serait pour toujours. J'étais devant Arte mardi soir dernier, où je les ai rencontrés, et je n'en revenais pas. Pendant toute la durée du film d'ailleurs, je n'en suis pas revenu. Il y avait bien longtemps qu'un film m'avait donné à ce point le sentiment qu'il porte en lui tout le cinéma, qu'il EST le cinéma.

Devant "Les amants réguliers", on réalise un parcours parmi les grandes oeuvres cinématographiques. Au début de la première partie, "Les espérances de feu", les deux motards à casque blanc semblent tout droit sortis d'un film de Cocteau. Lors de la scène de la réunion clandestine, les portraits d'hommes dans la pénombre rappellent le "Chant d'amour" de Genet. Pendant la scène des barricades, on pense aux séquences nocturnes d'attente dans les tranchées des "Sentiers de la gloire" (ou même des "Croix de bois") : l'ennemi est partout, mais invisible. Long plan séquence : au milieu du feu, des fumées et des barrières qui volent, deux silhouettes mâles défient la répression. La bande son devient primordiale : à l'écran, on regarde le son, c'est lui qui donne alors toute la profondeur de champs. Comme une sentinelle dirige son regard vers un craquement, on se retrouve ainsi à guetter l'évènement - la charge des CRS - aux côtés des insurgés. À aucun moment, on a l'impression de se retrouver devant une reconstitution.

Au petit matin, les gueules sont noires et toujours aussi belles. La résistance s'établit dans un grand appartement bourgeois, assez dépouillé, où la petite communauté d'artistes dandy révolutionnaires "tire sur le bambou" allègrement.
(De ce point de vue, le film est d'ailleurs quelque peu cruel car, en même temps qu'il déclenche une envie irrésistible de prendre une bonne vieille gorgée de "lait du paradis", il rappelle à quel point il est devenu rarissime d'avoir l'occasion de fumer un peu d'opium ici-bas.)
C'est dans cet "oeuf opiacé" (dixit Joë Bousquet), que naît l'histoire d'amour entre François (Louis Garrel), jeune poète épris de Musset et de Baudelaire et Lilie (Clotilde Hesme), sculpteur.



"Les amants réguliers"
est un chef-d'oeuvre qu'il me tarde de revoir en salle. La photo "noir et blanc" est exceptionnelle et l'élève, d'ores et déjà, au rang de classique. On y voit le beau Louis Garrel discuter avec son grand-père Maurice devant sa mère Brigitte Sy. On y voit des jeunes gens magnétiques fumer de l'opium et danser sur la voix de Nico. On y pisse sur les pieds de la Vierge. Bref, on y voit Mai 68 comme jamais jusqu'alors, pas même dans le "Dreamers" de Bertolucci où Eva Green donnait alors la réplique à Louis Garrel.

À voir absolument comme ils disent. C'est pour nous que vivent François et Lilie.

21 octobre, 2005

UN ANGE À NOTRE TABLE


"Il y a un ange" est en boîte. Après trois jours de séances intenses, la chanson est apparue dans une version qui nous enchante au point qu'elle ouvrira sans doute l'album. Quatre minutes en apesanteur, un tempo de slow, des choeurs séraphiques : un petit joyau...
Après plus de dix années de collaboration avec Tof et Did, les milliers d'heures de vol ensemble à la vitesse du son ont établi un protocole désormais bien rôdé. Chacun a sa place, sa fonction et en jouit. La "fratermitié" qui nous lie et l'autonomie technique désormais acquise nous permettent de travailler dans un mood particulièrement calme et fluide : une sorte de veillée fascinée autour de chaque chanson. Ces deux jours ont été un pur bonheur et cela s'entend dans le résultat.

Du côté des labels, V2 ne sera pas la prochaine maison de disques de Tanger. Le D.A n'a selon lui, pas obtenu le soutien qu'il espérait de la part de son supérieur (un ancien de chez Labels qui n'avait déjà pas voulu signer Tanger à ses débuts en 97...). Au regard de la politique de signatures, le label paraissait pourtant adapté au cas Tanger et la personnalité même du D.A. m'avait rassuré. Nous aurions pu travailler ensemble, je crois, cependant je redoutais que notre vieille connaissance pose problème.
Sans doute qu'un meilleur contrat nous attend ailleurs...

Et ailleurs ce sera peut-être au Village vert. Un label formé à l'origine pour Autour de Lucie et qui a grandi avec Télépopmusik et avec Luke maintenant. La rencontre a eu lieu hier matin, et c'est tout simplement la meilleure rencontre à ce jour. "Il y a un ange", fini la veille, a été inclus parmi les maquettes présentées. J'ai un bon feeling, réponse dans une quinzaine.



Mercredi soir, avec les gars, découverte de l'expo "John Lennon, unfinished music" à la Cité de la Musique. Ce parcours dans la vie d'un Beatles est agréable et totalement fétichiste. À voir et écouter : des manuscrits, des dessins (pas terrible d'ailleurs les nus de John...), des films, des objets de culte, la reconstitution d'une séance à Abbey Road avec Georges Martin. Devant la vitrine consacrée aux objets siglés Beatles (jouets, petites culottes...) on retombe en enfance.
En fin d'expo, le film réalisé par Depardon à Central Park une semaine après l'assassinat est très émouvant. Dix minutes durant, (le temps du magasin de pellicule) Depardon cadre avec sobriété parmi la foule silencieuse.
Les experts risquent d'être déçus : pas de révélations, peu de pièces originales parmi les instruments exposés (Yoko Ono s'étant opposé par exemple au prêt du grand piano blanc d'Imagine par exemple), peu de costumes également. Cependant pour les autres, c'est un bon trip à faire sur un nuage. Il y a aussi un trip Yellow submarine pour les enfants. Recommandé.




Autre Beatles qui fait parler de lui ces jours-ci : Mc Cartney, vient de sortir un album magnifique, on n'en revient pas... Les titres lents sont high class : "Jenny Wren" (solo de duduk à pleurer), "This never happened before", "Riding to vanity fair", "How kind of you" qui marche par endroits sur les territoires de Robert Wyatt. "Too much rain" semble avoir échappé à Coldplay. Recommandé.

En boucle sur ma platine mentale en ce moment : "I bet you look good on a dancefloor" des Arctic Monkeys (clip d'enfer !) et le refrain de "Tripping" de Robby Williams : why do you think we should suffer in silence ?

18 octobre, 2005

TÔT OU TARD, CE SERA JAMAIS

Après l'audition de quatre titres, il a dit avec un sourire forcé "J'aime pas". Au moins c'est clair et ce n'est pas franchement une surprise : Tôt ou tard est un label très "chanson française" en pull (Delerm, Cherhal...), pas vraiment rock'n roll... et donc pas très raccord avec Tanger. Cependant les temps étant ce qu'ils sont, nous avions accepté l'invitation comptant sur une éventuelle volonté de décalage de la part d'un label plutôt mono-maniaque. "Je m'autorise des trucs parfois...", ouais... L'impression que tout était déja joué avant même l'écoute. Avec Tôt ou tard ce sera donc jamais. Encore un temps mort qui aura la mémoire vide.

Avec Tof on rejoint ensuite le studio pour fixer "Il y a un ange". Il revient de Lausanne où il jouait avec Alan Véga et les Étant donnés pour l'underground film music festival. Il y a rencontré des groupes assez barrés (Melt bananas, le shtroumpf Jo La Noïze...) et surtout les Cobra Killer dont la pochette du dernier LP me fait instantanément oublié la petite déconvenue matinale.



Gina V D'Orio et Annika Line Trost

14 octobre, 2005

HAWLEY À LA MAROQUINERIE



Demain, présentation des maquettes du nouvel album au label Tôt ou Tard. Ces rendez-vous réactivent pour quelques heures, l'espoir endormi, de gré ou de force, par les jours de silence. C'est un fait : l'industrie du disque ne court pas après Tanger. Remarquez, Tanger non plus ne court pas vraiment après l'industrie.
Depuis la rupture avec Universal, seulement quatre rendez-vous ont eu lieu dont un où je n'ai même pas voulu laisser les maquettes, tant j'ai eu l'impression de me retrouver dans les bureaux d'Universal : le même foutoir, le même discours, la même aisance à dire n'importe quoi...
C'est toujours un régal d'entendre le directeur artistique, d'un label indépendant de surcroît, s'aventurer dans la définition technique d'un single et décréter qu'il n'en voit pas dans ce qu'on lui propose, après s'être borné à écouter au maximum, la première minute des titres...
Quand les D.A. des labels indépendants se mettent à singer les vilaines manières des programmateurs des pires radios commerciales...

J'avoue que dans tout ce merdier, je ne sais pas quand Tanger retrouvera un contrat, ni même au fond si ce nouvel album sortira un jour. Cette industrie est dans un tel état de décomposition, qu'il est devenu rarissime d'y trouver les figures qui ont toujours fait son histoire. Où sont-ils les nouveaux frères Chess ? Y-a-t-il un nouvel Andrew Loog Oldham quelque part ? Où se cache le Tony Wilson de nos jours ?... Pourtant si les grandes figures de l'industrie ne sont pas renouvelés, les beaux projets ne manquent pas.

Mercredi soir dernier, Richard Hawley jouait à la Maroquinerie. Un peu de fatigue se lit sur les visages du groupe, (c'est la fin de la tournée, R.H. lâche très vite "We really miss home !"), cependant rapidement le son impressionne et fait du bien.
Ils sont six sur scène, deux guitares, contrebasse, batterie, claviers. La voix de R.H., que je découvre en live, est un régal. On pense à Morrissey bien sûr, mais c'est aux côtés des grandes voix mâles qu'il faut le situer : Johnny Cash, Scott Walker, Stuart Staple des Tindertsticks et même Elvis...
Vêtu d'un costume trois boutons gris clair, Hawley a l'élégance sympathique. Il dit peu de choses, se contentant d'introduire rapidement les chansons. On sent que le set est rôdé. L'affaire, pliée en une heure, atteint des hauteurs sur The ocean et Born under a bad sign. Au rappel, RH annonce une berceuse que son grand-père chantait à sa mère, que sa mère lui chantait et que ce soir, il chante pour nous : "I sleep alone", délicat. Pour finir, une cover de "That's all right mama" pas vraiment utile.

Hawley parvient à faire ce que Morrissey n'a jamais atteint en solo, lui qui s'obstine de manière incompréhensible avec sa quincaillerie rockab.

Discutant avec une responsable de la Fnac à l'issue du concert, j'apprends que les magasins d'Ile-de-France n'ont pas écoulé 1000 exemplaires de Coles Corner... C'est incompréhensible : l'album est excellent (idéal pour cet automne indien), la pochette est plutôt efficace, le groupe assure un live, les critiques dans la presse ont fait leur travail (Télérama a même mis 4 clés)... Seulement voilà, aucun titre ne passe en radio... Et si aucun titre ne passe en radio, aucune chance d'obtenir un passage télé, à moins que Durand ne laisse une place en début de nuit sur France 2...
Jusqu'où ira cette tyrannie du "passage radio" ? Le fossé entre artistes "réels" et industrie spectaculaire se creuse de façon exponentielle chaque jour. Combien de groupes talentueux, et médiatiquement sobres, vont rester sur le carreau à cause des diffuseurs qui finissent tous par oublier de proposer une alternative, préférant de plus en plus avoir, d'une façon ou d'une autre, la main sur la production des contenus qu'ils diffusent.
Au moins, et même quand ils sont en difficulté dans leur propre pays, les groupes anglo-saxons, parviennent-ils sans doute un peu mieux à s'en sortir : car même en écoulant seulement quelques petits milliers de copies par pays, ils parviennent sans doute assez vite à écouler 80 à 100 000 copies, ce qui leur assure une certaine viabilité économique. En revanche pour les artistes qui s'expriment en langue française, le terrain de jeux fond comme la banquise sous l'ozone mitée...

13 octobre, 2005

BIENVENU AU CHÂTEAU



J'ouvre aujourd'hui Château Gonzo.
Un lieu de cultes, ma nouvelle résidence dans vos campagnes.

Affalement des défenses,
Hollywood Pom Pom et Snakeskin boots,
bouquets de roses Ruby velvet et violettes Marie Louise,
fourrures antiques et tentures cramoisies,
attente au bord des meurtrières,
king size buttoned Chesterfield sofas, chats Angora,
marbre rose (où le candidat Loughton vient faire des claquettes),
flambeaux en retrait et feu de hêtre perpétuel dans la grande cheminée,
opium, liqueurs étranges et dispositifs poly sensoriels,
plafonds peints, avalanches séraphiques, trips divers et mélanges taquins,
conversations assassines et critiques sans vergogne,
ivresse et vice portés aux nues,
femmes au sexe couvert de plumes de canard et masques trophées,
Dom Ruinart, Aloxe Corton et Malartic Lagravière à température...

Château Gonzo est ma dernière demeure.
Je vous invite aux premières loges.