19 décembre, 2005

ROCK'N'ROLL & DÉPENSE

Portrait de Félix Fénéon par Signac, huile sur toile, 1890. MOMA, NY

Ça y est c’est fait. Opération cadeaux de Noël terminée. Je n'aurai pas à me coltiner le shopping de dernière minute, dans des magasins envahis de créatures exorbitées, complètement défoncées, agressives ou hagardes, en transe de matérialisme. Il faut dire que l’offre est indécente, les stocks menacent d’éventrer les vitrines sur les trottoirs, la retape est incessante. Voici cependant quelques objets de désir aperçus ces derniers jours.


DISQUES

Blue Note exploite les archives de la famille Coltrane et publie un live éblouissant du quartet légendaire, enregistré au Half Note les 26 mars et 7 mai 1965. One down, one up est un sommet jamais entendu avec un son pareil. Le son de la contrebasse en ouverture du disque est terrible. Le trip culmine avec un duel Coltrane / Jones de 15 minutes sur le morceau titre.
Gilles Peterson Presents The BBC Sessions vol 1 / une sélection d’une trentaine d’artistes venus enregistrer dans, Worldwide, l’émission du meilleur DJ mondial : Beth Gibbons, NERD, The Roots, Beck, Cody Chesnutt, Zero Seven… Quelques morceaux acid-jazz moins convaincants mais l’ensemble "haut de gamme" impressionne par sa qualité sonore et musicale.
Le reste, vous en avez déjà entendu parler un peu partout : Sufjan Stevens, Vashti Bunyan etc...



LIVRES
Allia publie « Les miscellanées de Mr. Schott » : un petit livre aussi joli qu’indispensable, avec ruban marque-page à l’ancienne, pour savoir la liste des maris de Liz Taylor, les principaux « québécismes », les singles n° 1 des Beatles en Angleterre, le jargon des bistrots, les gauchers célèbres… Bref, petit mais costaud.

L’éditeur Du Lérot publie trois volumes bien façonnés de correspondance et suppléments aux œuvres complètes du magistral Félix Fénéon. Le plus grand critique d’Art de la période fin 19ème début 20ème, rédacteur à la revue Blanche où il publie Verlaine, Huysmans, passe « Les illuminations » de Rimbaud et la peinture impressionniste. Il offre également pendant six mois de 1906 au journal Le Matin, ses nouvelles exemplaires en trois lignes où il rapporte dans une forme diamantaire les derniers faits-divers. Exemples :

En se le grattant avec un un revolver à détente trop douce, M Ed. D… s’est enlevé le bout du nez au commissariat de Vivienne.

On couronnait les écoliers de Niort. Le lustre tomba, et les lauriers de trois d’entre eux se teignirent d’un peu de sang.

Ses gerbes brûlaient souvent. Pinard, de Coligny (Loiret), armé, guetta. Passa Pénou ; incendiaire ou pas, il reçut la décharge.

Enfin chez Mona Lisait, outre les trésors habituels en poésie contemporaine, documents surréalistes et curiosa, un fond jubilant de documents autour de Maurice Lemaître. Lettriste, prophète au côté du messie autoproclamé Isidore Isou, Lemaître réalisa entre autres en 1951 Le film est déjà commencé, premier film ciselant : la pellicule = une toile blanche, elle est grattée, chimiquement attaquée, successions positif/négatif, clignotements, etc. La bande-son est composée des réactions houleuses du public enregistrées lors d’une projection du film.

FILMS

DIG Sans hésiter une seule seconde, l'un des films les plus jouissifs de l'année, l'un des touts meilleurs films dans le genre documentaire sur le rock (je déteste le mot rockumentaire), en tout cas une référence en la matière désormais. À voir toute affaire cessante, ventre à terre et le blaire taquin; et à revoir par mesure d'hygiène de temps en temps pour remettre les compteurs au taquet et bouter hors monde l'ennemi :
- l'ectoplasme variété française qui répand sa glue purulente partout avec son troupeau de premiers de la classe action commerciale;
- tous les faux jeunes déguisés en curé, les quinquardissonnistes, syndicalistes du joint quotidien et nostalgiques des bombes qu'ils n'ont jamais eues ni posées;
- tous les vrais vieux rive droite qui font de la fausse chanson rive gauche avec des manières de cocu centriste;
- tous les "demi-mondains de l'impertinence salariée" comme disait Gilles T., et autres crevards d'open bar;
- toutes les salopes, hommes ou femmes, à l'abri derrière un hygiaphone, calées au chaud sur le coussin douteux de leur pauvre cul, et qui reculent leurs foutues chaises à roulettes quand un clochard ou une mama veut un renseignement;
- tous les gros cons à chaussures de mort, Loden ouvert sur la brioche, le cigare bien en érection entre les dents qui, pour rejoindre leur Porshe Cayenne, traverse sans regarder et s'étonne de prendre mon pare-brise dans la tronche...
- Et tous ceux, partout, qui pensent que le rock'n roll est une affaire d'économie.

LE ROCK'N ROLL N'EST QU'UNE AFFAIRE DE DÉPENSE.


Un film assez rare, réédité dans la collection Les introuvables par Wild Side Films,"The naked kiss" de Samuel Fuller ("Police spéciale" en francais !...). Une ancienne prostituée tente de se refaire une existence tranquille dans une petite ville des Étas-Unis, ce qui n'est pas sans poser quelques problèmes. La scène d'ouverture ou Constance Towers (excellente Kelly) refait le portrait de son maquereau à coups de sac à main vaut vraiment le détour (Cherchez l'erreur quand sa perruque tombe...)

09 décembre, 2005

PEEPING TOM THUMB

Les urinoirs du Sofitel de Queenstown.

06 décembre, 2005

GLACER LES SOIFS MÉTAPHYSIQUES

Je retrouve le château avec grand plaisir, après une absence de quelques jours due à une rénovation des fondations digitales de Château Gonzo.
Une semaine de travail et de jeux sur plusieurs textes :


- un pour MINIMUM ROCK'N'ROLL, une revue de l'excellent DISCO-BABEL, thème du numéro 3 : ROCK et CHAUSSURES,

- une série intitulée FANEZ-VOUS DEDANS / FANEZ-VOUS DEHORS : je passe à la moulinette de ma petite fabrique (extraction, translation, recomposition) une sélection de prélèvements opérés dans des scripts de "gros films", américains pour la plupart, où la figure du héros est en jeu. Un film par page. Premiers films à subir ces outrages : Saving private Ryan, Triple X et Scarface.

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Avec les gars, nous projetons une nouvelle session d'enregistrement de TANGER courant janvier. À priori à Mains d'Oeuvre.
Des nouvelles de notre manager Dantès : entre deux nouvelles pierres à l'édifice RADIAL RECORDS - ça y est nous sommes officiellement producteurs phonographiques - il a pris les reines du bar de l'Hôtel Edouard VII, avenue de l'Opéra. Un lieu en pleine mutation donc, mais qui possède un charme à l’anglaise de « cercle pour messieurs ». Des soirées en perspective où votre serviteur devrait mixer prochainement.

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J'ai déjeuné cette semaine avec Sébastien Petibon, homme de goût, galeriste et libraire - L'Or du temps, passage de l'Échaudé à Saint Germain -. Nous avons une admiration commune pour Gilbert Lely : le doux Prince, l'écrivain diamantaire, l'Homme qui aimait la Femme, (dis)qualifié un jour sommairement d'"érotomane distingué" par Breton.

Reconnu pour son travail méticuleux de biographe de DAF de Sade, instruisant le cas du marquis avec une érudition insolente, Lely, pourtant poète avant tout, est fort peu connu en tant que tel. Il n'y a qu'à lire pourtant au hasard de son oeuvre magistrale, pour se rendre compte qu'elle est un joyau intact dans les coffres de la littérature, embastillé dans les oubliettes du vingtième siècle.
Yves Bonnefoy tente d’expliquer cette négligence : "Si son œuvre ne fut pas vue, c’est qu’elle donnait à voir, autrement dit était pleinement et résolument figurative, dans une époque où la figuration n’a eu place en peinture ou dans les poèmes que d’une façon d’emblée rabaissée, pour autant qu’elle subsistait encore, et y fut constamment et profondément troublée par l’autonomie qu’on laissait aux signes (…)".
D'aucuns considèrent Lely comme un fantaisiste libidineux, tel n'est pas le cas de l'aristocratique Sébastien Petibon et moi-même. Nous projetons plusieurs réalisations autour de Lely, notamment un Atelier de Création Radiophonique pour France Culture.
Sébastien m'a prêté un exemplaire photocopié de la toute première édition de « Ma Civilisation », chef d’oeuvre maintes fois repris par Lely au cours de sa vie et ici façonné par lui en 1942, tapuscrit en onze exemplaires, avec frontispice de Max Ernst et cinq planches hors-texte... Un trésor !
Je ne résiste pas au plaisir d'afficher sur les murs du château "La Sylphide", un de ces magnifiques poèmes.

ÉPISTOLERIE ET TIME TUNNEL


Un site parfait pour dériver dans l'espace temps : dialogus2.org. Vous adressez une lettre à un personnage célèbre, mort et/ou de fiction et le bougre vous répond de son vivant ! Vous pouvez ainsi écrire à Mozart, René Char, Kerouac, Léonard de Vinci ou encore à Giordano Bruno, Lee Harvey Oswald, Rosa Luxembourg, et même Betty Boop, Corto Maltese, Antigone... et prochainement Batman... Ils sont rangés par siècles et par discipline, artistique ou scientifique. Seuls épistoliers étiquetés "inclassables", Barbie et le Père Noël !
16000 lettres reçues à ce jour, 185 personnalités "revenues" depuis 1999, année de création de ce site canadien.
Quand une lettre retient l'attention de son destinataire, une réponse est faite par un rédacteur qui tente de réactiver la voix du disparu, à un moment précis de sa vie, et non après sa mort. Inutile donc de demander à Jeff Buckley les circonstances précises de sa noyade... En revanche, vous trouverez une réponse de Jeff à une lettre intitulée "Olympia 1995". À priori, un réel travail d'enquête est mené pour cerner la voix recherchée.
J'ai évidemment sauté sur l'occasion pour tenter d'écrire une lettre à Coltrane, histoire d'en savoir plus sur le cas qui nous occupait il y a quelques jours au château, cette histoire de deuxième sax mystérieux à la fin de A love Supreme (cf note précédente). Cependant il ne fait pas partie pour l'instant des personnalités réactivées... J'ai donc fait une demande spéciale aux administrateurs du site. Réponse prochainement.

PAS DE CONTRAT DANS LA HOTTE


La fin de l'année approche et il faut se rendre à l’évidence : Tanger n’aura pas un nouveau contrat en poche d'ici les douze coups de minuit comme je l’espérais, histoire d'entamer 2006 sous une bonne étoile pour le groupe. Il va encore falloir se battre et continuer ces rendez-vous navrants avec des D.A. peu éloquents et aux compétences souvent douteuses. Ces rendez-vous "d'écoute" - où l'on entend pratiquement jamais rien - me sortent par les yeux. J’en ressors toujours ultra-perplexe, tiraillé entre l'envie de présager une perspective malgré tout, et celle plus furieuse, de rallier illico le point de fuite, tant le niveau des échanges est consternant.
Ni amertume ni découragement - le nouveau cru de Tanger est exceptionnel, il finira bien par s’épanouir dans vos palais -, mais une réelle déception devant les "responsables artistiques" croisés cet automne et parmi lesquels je serais bien en peine de distinguer plus d’une "figure", sinon courageuse au moins sympathique et inspirée. À l'exception de Fred au Village Vert, c’est un défilé de clowns tristes et impuissants auquel nous avons assisté.
J'ai été frappé de constater ceci : entre un directeur artistique de label indépendant et un programmateur de radio commerciale, il ne semble plus y avoir aucune différence. Ce sont les mêmes discours et les mêmes attitudes. Leur mode de fonctionnement préféré : laisser pourrir les choses.
Ne pas rappeler, ne pas répondre, annuler un rendez-vous au dernier moment, baisser les yeux en cas de rencontre fortuite : ces sales manies ne sont certes pas la dotation exclusive des employés de l'industrie musicale, ce sont des manques de civilité banals de nos jours, symptômes de tous ceux qui ne sont pas à leur place. Cependant comment être enthousiaste à l'idée d'aller confier une oeuvre là où de fait, il n'y a plus d'interlocuteur, pas de face ?
Malheureusement, en haut des organigrammes, personne n'est là pour montrer l'exemple. Bien au contraire. Les années de plomb du règne NÈGRE-GUAZZINI & consorts auront été durablement fatales à l'industrie du disque en France. Leurs clones placés à tous les échelons, continuent de faire des ravages sur la création en s'agitant sur les rejetons des programmes de télé réalité ou sur les fléaux des comédies musicales. Le manque de compétences réelles qui parade à tous les étages des majors s'aggrave du comportement lamentable de nombre de leurs employés, enflés la plupart du temps, parce qu'ils ont le sentiment, comme le type du cirque qui maintient un seau au cul de l'éléphant, de faire partie du show business.
Une anecdote : Le 9 janvier 2003 il faisait froid à Paris, les pavés étaient particulièrement glissants. J’avais rendez-vous à 17 heures avec Pascal Nègre, afin de lui remettre les mixages définitifs de « L’amour fol » (le quatrième album de Tanger). À 16 h 55, derrière le Panthéon, une voiture m’a coupé la route et a heurté le scooter. Le choc fut suffisamment violent pour que mon casque s’éjecte à plus de 10 mètres : traumatisme crânien classique. Ramassé par les pompiers et emmené aux urgences de Cochin pour y être recousu au niveau de l'arcade. Sortie des urgences deux heures plus tard, je décidais de retourner à mon rendez-vous chez Universal.
Sonné et le blouson copieusement drippé de brun douteux (je réaliserai vraiment une fois rentré à la maison), j’attends donc devant le bureau de Nègre avec Dantès, le manager de Tanger, encore tout retourné par mon accident et contrarié que je ne sois pas rentré me reposer.
Au bout de trois quart d'heure, Nègre sort enfin et se dirige vers moi : « Entrez Tanchher… », puis remarquant un petit cœur en brillants sur ma manche, ne me lâchant plus la main : « Hmm c’est mignon ça…». Il paraît ivre, il ne s’aperçoit même pas que j’ai un léger problème au niveau temporal gauche. Je lui remets un disque comportant les mixages fraîchement terminés de la veille avec Kid Loco. Il me promet qu’il écoutera et m’enverra un petit mot (je n'ai jamais rien reçu), puis il se fend d’un «Tanger : tout le monde m’en parle !».
Je me retire rapidement, Santi et lui ont une affaire de la plus haute importance sur les bras... une chanteuse sévissant sous le nom de Nolwenn s’oppose à la sortie de l’album de la star académycienne du même prénom. À quelques jours de la sortie, il faut passer au pilon la première fabrication. Santi me prévient qu'ils n'en auront pas pour longtemps et demande qu’on l’attende : il voudrait découvrir "Botox planétaire".
Au total, nous resterons à attendre plus de deux heures ! Pourquoi être restés ? Je ne sais pas vraiment. Le plaisir ou la fierté de faire découvrir le boulot peut-être, le fait d’avoir pris un sérieux coup à la tête auparavant…
Épuisé et encore un peu sonné, je m’adosse au mur longeant le bureau de Nègre. Je me laisse glisser jusqu’à être assis sur mes talons, puis je reparcours le Libé du jour. Soudain, Nègre sort, manteau jeté sur les épaules, long drink à la main, il passe devant moi et dit : «Tiens un SDF !».
Ne cherchez pas de morale à cette histoire.