31 octobre, 2005

LES AMANTS RÉGULIERS




François et Lilie. Voilà une semaine qu'ils sont entrés dans ma vie. J'ai tout de suite senti que ce serait pour toujours. J'étais devant Arte mardi soir dernier, où je les ai rencontrés, et je n'en revenais pas. Pendant toute la durée du film d'ailleurs, je n'en suis pas revenu. Il y avait bien longtemps qu'un film m'avait donné à ce point le sentiment qu'il porte en lui tout le cinéma, qu'il EST le cinéma.

Devant "Les amants réguliers", on réalise un parcours parmi les grandes oeuvres cinématographiques. Au début de la première partie, "Les espérances de feu", les deux motards à casque blanc semblent tout droit sortis d'un film de Cocteau. Lors de la scène de la réunion clandestine, les portraits d'hommes dans la pénombre rappellent le "Chant d'amour" de Genet. Pendant la scène des barricades, on pense aux séquences nocturnes d'attente dans les tranchées des "Sentiers de la gloire" (ou même des "Croix de bois") : l'ennemi est partout, mais invisible. Long plan séquence : au milieu du feu, des fumées et des barrières qui volent, deux silhouettes mâles défient la répression. La bande son devient primordiale : à l'écran, on regarde le son, c'est lui qui donne alors toute la profondeur de champs. Comme une sentinelle dirige son regard vers un craquement, on se retrouve ainsi à guetter l'évènement - la charge des CRS - aux côtés des insurgés. À aucun moment, on a l'impression de se retrouver devant une reconstitution.

Au petit matin, les gueules sont noires et toujours aussi belles. La résistance s'établit dans un grand appartement bourgeois, assez dépouillé, où la petite communauté d'artistes dandy révolutionnaires "tire sur le bambou" allègrement.
(De ce point de vue, le film est d'ailleurs quelque peu cruel car, en même temps qu'il déclenche une envie irrésistible de prendre une bonne vieille gorgée de "lait du paradis", il rappelle à quel point il est devenu rarissime d'avoir l'occasion de fumer un peu d'opium ici-bas.)
C'est dans cet "oeuf opiacé" (dixit Joë Bousquet), que naît l'histoire d'amour entre François (Louis Garrel), jeune poète épris de Musset et de Baudelaire et Lilie (Clotilde Hesme), sculpteur.



"Les amants réguliers"
est un chef-d'oeuvre qu'il me tarde de revoir en salle. La photo "noir et blanc" est exceptionnelle et l'élève, d'ores et déjà, au rang de classique. On y voit le beau Louis Garrel discuter avec son grand-père Maurice devant sa mère Brigitte Sy. On y voit des jeunes gens magnétiques fumer de l'opium et danser sur la voix de Nico. On y pisse sur les pieds de la Vierge. Bref, on y voit Mai 68 comme jamais jusqu'alors, pas même dans le "Dreamers" de Bertolucci où Eva Green donnait alors la réplique à Louis Garrel.

À voir absolument comme ils disent. C'est pour nous que vivent François et Lilie.