24 novembre, 2005

LOCATAIRES


Photos extraites de "Locataires", un film de Kim Ki Duk (Corée, 2004) vu hier. Encore un film asiatique touché par la grâce ! Un jeune homme s'introduit dans des habitations dont les propriétaires sont absents. Pour quelques heures, il y mène une vie domestique silencieuse et rend quelques services : réparation minutieuse d'une horloge, réglage du mécanisme d'un pèse-personne, lavage du linge de maison à la main...). Il prend rituellement quelques photos témoignant de son passage avant de disparaître, ne laissant derrière lui que les traces fantômes de ces petits bricolages. Une de ces maisons s'avère un jour occupée par une femme blessée, battue par son mari. Commence alors une histoire d'amour et de complicité troublante entre deux solitudes, idylle contrariée par des évènements tragiques.
Un film d'une beauté envoûtante du début à la fin. Une bande-son totalement au service de l'image , essentiellement constituée des bruits de l'action (activités domestiques, fouet des clubs de golf que le jeune homme manie avec une précision foudroyante...).Des moments de chorégraphie à faire pâlir la danse contemporaine (série de swings, gymnastique dans la prison).
Les deux amants possèdent une force et un calme insolents - que l'absence de dialogue décuple - et qui les détachent des mesquineries terrestres.
Une occupation du temps contagieuse et comme prophétique.


Quelques problèmes de réseau m'ont empêché l'accès au château ces derniers jours.
Pas de bonnes ni de vraiment mauvaises nouvelles concernant les aventures deTanger à la recherche d'un contrat. Le Village vert ne semble pas décider à signer pour l'instant : il manquerait encore deux ou trois titres pour "être sûr d'y aller"...
Pour en savoir plus, rendez-vous mardi prochain, avec le patron du label, Fred Monvoisin.

CHANSONS D'AMOUR ET D'EAU TIÈDE

Il y a des chansons qui passent au coin des jours sans qu'on y arrête les oreilles. Et puis de temps en temps, il y en a une dont on s'éprend follement. Une comète qu'on étreint sous le porche d'un casque et qui s'instille durablement dans nos intérieurs. C'est la chanson fétiche, la pop song idéale, la miniature sonore qu'on porte aux oreilles comme un bijou. Je me souviens ainsi de la fulgurance du "Sale from harm" de Massive Attack, de "A song for the lovers" de Richard Ashcroft, du "Werewolf" de Cat Power, du "React" de Erik Sermon, de "La man" de Christophe, du "Pyramid song" de Radiohead, du "Weeping willow" de Sébastien Schuller... (J'accrocherai probablement un de ces jours une liste dans un coin du Château).




C'est un des beaux mystères de notre existence, en même temps que le fondement d'une industrie exponentielle qui, face à l'impossibilité de fixer la recette du saint-honoré de l'engouement universel, se fourvoie toujours plus, dans la fabrication grossière - et la surexposition coûteuse - de petits "fours" frelatés qui fondent sous les feux de la rampe.

Les instants où se produit une telle rencontre avec une chanson sont rares, mais ils comptent parmi les plus palpitants de l'existence : ils procurent pour un temps, de quoi survoler la mêlée jactante du monde. Leur pouvoir s'apparente à celui d'une rencontre amoureuse, d'ailleurs souvent elle-même, de mèche avec une chanson.

Il y a différents degrés d'engouement pour une chanson. Il y a la chanson avec laquelle on couche dès le premier soir, pris d'une toquade irrépressible. Après une vingtaine d'écoutes d'affilée, le réveil n'est pas toujours facile. Il y a la chanson qui ne se livre pas tout de suite : il faut en avoir humé l'air deux ou trois fois pour que son charme agisse. Il y a celle qui reste une bonne copine qu'on couche sur les compiles faites pour les bons copains. Il y a celle dont on a un peu honte, qu'on écoute en cachette et qu'on casse en public. À l'inverse, il y a la chanson faire-valoir, celle qui a tout pour plaire et dont on vante volontiers les mérites, mais qu'en réalité, on n'écoute jamais. Il y a enfin les histoires ratées, les chansons qu'on n'a pas eues ! De vieilles connaissances qu'on a jamais eu l'occasion de posséder et qu'on retrouve de manière fortuite, au hasard des haut-parleurs.

Ces airs qui nous tournent la tête, il faudrait en tenir une liste chronologique et, avant l'ultime intégrale, en graver au moins un volume par décade. L'histoire des personnes pourrait s'y lire à disque ouvert. Car ces petites balises de liesse qui jalonnent l'existence ne sont pas sans conséquences. Que la musique en général et qu'une chanson en particulier puisse changer une vie, je n'ai aucun problème à le croire : j'ai souvent eu l'occasion de le vivre.
La puissance d'évocation de certaines chansons est telle par exemple, qu'un couple fâché ne peut plus supporter d'entendre la bande-son de sa rencontre. Les mêmes chansons, jusqu'alors gratifiées d'oeillades complices et de sourires un tantinet cuculs, deviennent soudain infréquentables et se retrouvent tout bonnement tricards. C'est qu'une chanson n'est pas exportable d'un béguin à l'autre. Prenons un risque : on ne se baise jamais deux fois dans le même slow d'un love.

À l'opposé de la chanson fétiche, il y a la chanson calvaire. Celle dont il va falloir se trimballer le boulet promotionnel pendant plusieurs semaines, voire des mois, car il se trouve que, dans ce beau pays de mélomanes avertis, ces fléaux ont tendance à plaire à la ménagère de plus de vingt-cinq ans et se retrouvent ainsi de fait, à coloniser le temps audiovisuel.
En ce moment c'est un plutôt-jeune chanteur pour déjà-vieux qui nous inflige la punition. Ça a pour titre "Maritie et Gilbert Carpentier" et tout y est indigent: le sujet minable, les arrangements poussifs, la voix agaçante. Le texte ? Cauet ou Arthur n'auraient pas fait pire dans le genre évocation collégienne de séquences ORTF. Un calvaire !
Il faut le voir Bénabar - un gentil garçon au demeurant - faire la promo d'une telle entreprise à la télé et se retrouver, dans une complaisance ahurissante de l'aéropage critique (on en reparlera bientôt ici), associé à Brassens et consort. Il n'en revient pas de sa dorure sur tronche le Barnabé, il dit merci sans cesse, à tout le monde, il a les yeux qui brillent, à deux larmes que la gêne déborde.

En France, pas de dope : on est bien.

18 novembre, 2005

A LOVE SUPREME / INVESTIGATION



Dans le dernier mouvement de A Love Supreme de Coltrane, à une trentaine de secondes de la fin, on entend pendant quelques secondes, un deuxième ténor, placé à droite dans la stéréo. Je n'y avais jamais prêté attention avant hier matin. Alors questions : la pièce étant connue pour avoir été saisie en une seule prise, l'après-midi du 9 décembre 1964, Coltrane aurait-il fait un overdub ? Est-ce bien lui qui joue ? Ou bien est-ce Archie Shepp qui, convié le lendemain pour une prise en sextet (avec Art Davis), aurait été également présent le 9 et se serait joint en dernière limite, à la fameuse prière du ténor de légende ?
Après enquête, je peux dire avec certitude qu'il s'agit bien d'un overdub de Coltrane. En effet, Barry Kernfeld, auteur du monument "The new Grove Dictionary of Jazz", a apporté la solution à un mystère qui visiblement déconcerta longtemps les spécialistes de Coltrane.
En septembre 2004, Barry Kernfeld est invité par une salle des ventes new-yorkaises (Guernsey's) à préparer le catalogue d'une vente autour de Coltrane, Parker, Monk, Goodman Dolphy et Mulligan. En décembre de la même année, Saïda Coltrane et son frère Jamail Dennis, apportent des pièces destinées à la vente (manuscrits, correspondances...), et annoncent qu'ils sont en mesure de proposer également quelques bandes !
Kernfeld se retrouve alors trois semaines durant, à consulter, et y remettre un peu d'ordre, des bandes contenant principalement des enregistrements inédits de Coltrane, réalisés au studio de Rudy Van Gelder entre 1962 et 1964 ! Entre autres trésors dont l'intégrale des sessions avec Johnny Hartman visiblement de bien meilleure qualité que les disques jusqu'alors publiés, figure même une copie stéréo intacte, de toutes les prises du premier mouvement de A love supreme, en sextet dont les masters sont perdus !
Concernant notre mystère, c'est la bande 90245 qui fait la lumière : elle contient la prise 1 de Pursuance/Psalm (17'34 ) où il n'y a qu'un sax, et un insert de 1'45 où Coltrane ajoute ces quelques notes en overdub. Il serait intéressant de savoir les raisons pour lesquelles Coltrane décida cet ajout infime et ultime dans son adresse à Dieu. Nous poursuivrons l'enquête.
Finalement, ces fameuses bandes seront retirées de la vente, suite à une menace de plainte de la part de l'avocat de Impulse ! et le texte de Kernfeld ne sera pas publié dans le catalogue.

14 novembre, 2005

SHU QI FEVER


Rain and tears des Aphrodite's Child en soundtrack. Debout sur le pont d'un remorqueur, une jeune femme en chemisier blanc traverse l'écran. Elle se tient à une main courante près de la cabine, la tête penchée sur un souvenir et le regard attendri. Une pensée heureuse explose en elle, comme une pivoine dans le silence des jours. Elle flotte au-delà du bateau, elle est la grâce, la nouvelle amoureuse qui revient du premier baiser. Des horizons se déplient en elle qui nous traversent aussi.
Il aura suffi d'un plan, dans la bande-annonce de "Three times" vue à la fin de l'été, pour que je succombe à la grâce de Shu Qi (Vicky dans l'envoûtant Mambo Millenium) et que je me mette à lui vouer un culte : recherche fièvreuse d'images, d'articles, téléchargement de fonds d'écran et autres curiosités.
Ce genre d'émoi vorace pour une icône est assez rare chez moi, il finira sans doute par se résorber avec l'écriture d'une chanson, comme ce fut le cas avec Chloë des Lysses. En tout cas, les premières lignes d'un texte sont avancées et mercredi, je serai sans doute au cinéma, à fantasmer sur un duo.

TOUT PEUT SERVIR

"11 novembre", "Toussaint", tout un programme. C'est un moment de l'année plutôt pénible pour qui n'aime, ni les chrysanthèmes, ni la pompe républicaine célébrant les trois poilus qui lui restent sur le caillou.
Alors, provision de livres et d'ivresses en vue d'un état de siège. Trois livres parus chez Autrement : "Berlin 1919-1933, l'incarnation extrême de la modernité", "D'où vient Hitler ?" et "Les silences de Tchernobyl" ; et le numéro 10 du CCP consacré à Pascal Quignard.

Glané dans les propos érudits de Quignard, s'exprimant sur le fragment comme forme d'écriture : "La forme brève, non périodique, abrupte sans liaison, sans psychologie, sans égards, sans prophétie, sans séduction cherche une densité qui fait son propre. Les listes des Mésopotamiens, des anciens Chinois, des Romains, les haïkus des Japonais, les élégies tronquées, les collages, les fragments décontextualisant le monde oral, désolidarisent l'unanimité politique, regagnent sur l'intensité vitale, sur la vie même, sa titubatio, son instabilité érigeante, temporaire, fragmentaire, pleine d'écarts, d'impatiences, de chancellements, de syncopes."
Un peu plus loin, au début du cahier critique de cette revue, ouvrant sept pages consacrées aux nombreuses publications récentes autour de Debord et du situationnisme, on trouve, comme en écho aux lignes de Quignard, ces mots signés de Debord et Wolman et extraits du n° 8 des Lèvres nues : "Tous les éléments, pris n'importe où, peuvent faire l'objet de rapprochements nouveaux. Les découvertes de la poésie moderne sur la structure analogique de l'image démontrent qu'entre deux éléments, d'origine aussi étrangère qu'il est possible, un rapport s'établit toujours... L'interférence de deux mondes sentimentaux, la mise en présence de deux expressions indépendantes, dépassent leurs éléments primitifs pour donner une organisation synthétique d'une efficacité supérieure. Tout peut servir."

FÉTICHES


Vu Gilles et Mirka lors d'une belle soirée mêlée de vins et d'herbes. Mirka vient de faire paraître un très beau livre intitulé "Le malaise enchanté et autres contes muets" aux éditions Memo. Quant à Gilles, suivent deux photos, en avant-première de son prochain livre.


Automne 1995, je cherche fièvreusement des images de Gilles. Ses pisseuses m'ont ému au point que j'écris un jour d'une traite "L'immodeste attitude", une chanson qui reste un des titres emblématiques de l'aventure Tanger. Après avoir fait l'état des stocks Berquetiens au "Regard moderne", je décide alors d'aller faire un tour aux "Larmes d'Eros" à Bastille. Là-bas, errant entre de vieux messieurs dont le nez s'égoutte sur les livres, je fouille çà et là dans des cartons de photos anciennes, et j'en trouve une qui deviendra, quelques mois plus tard, la pochette du premier album de Tanger.
Au type lisant derrière un petit bureau, je demande s'il a des tirages originaux de Berquet. Intrigué, il me renseigne vaguement. Je finis par lui demander s'il connaît Gilles car je voudrais lui faire part de cette chanson inspirée par son travail. Il me répond alors : "Oui très bien... D'ailleurs, je suis Gilles Berquet."
Depuis, je ne crois pas qu'il y ait eu un concert parisien de Tanger sans que les silhouettes de Gilles et Mirka n'émergent du noir de la fosse. Ils sont beaux, ils résistent. Gilles a signé la pochette du disque de Tanger le plus recherché par les collectionneurs, "Tanger, ville ouverte", avec en couverture, une photo inoubliable de Mirka.

KID LOCO

Du côté du front, toujours pas de nouvelles du Village vert qui, je présume, poursuit son évaluation des maquettes du nouvel album...
Passé quelques heures en compagnie de Kid Loco dans son studio rouge sur les hauteurs de Saint-Lazare. Nous avons écouté nos dernières productions respectives - j'ai été emballé par les premières ébauches de son nouvel album - et parlé longuement de nos lectures en cours, des derniers documents parus autour de l'IS et de l'état préoccupant de l'industrie en charge de faire connaître nos travaux. Nous avons convenu de mettre enfin en chantier "Junkytown", un morceau que je lui avais proposé après l'Amour fol, à base d'un détournement du "Funkytown" de Lipps Ink...
Prochaine sortie du Kid, le volume 4 de l'OuMuPo du label Ici d'ailleurs..., dont il a fait la sélection (voir les contraintes de cette sélection sur la charte en cliquant ici).

10 novembre, 2005

BITCHES BREW MORNING

A bitches brew morning, un de plus. Je ne remercierai jamais assez Larry Debay de m'avoir "passé" un jour ce chef d'oeuvre hautement séminal. Avec ce line up historique, à jamais inégalable, Miles a tout simplement inventé l'alchimie sonore de référence pour le demi-siècle qui allait suivre, et nous simples mortels, cherchons toujours s'il n'y aurait pas par hasard, une autre issue malgré tout.

On m'a ramené de Bruxelles ce disque où sont gravés des instrumentaux à priori absents des diverts coffrets Gainsbourg. On les entend partiellement dans les films, ce vinyl en restitue l'intégralité. Sur la face A par exemple, "New délire" est tiré du Pacha, c'est la musique du ballet très psyché qui a lieu dans la boîte où sert la môme de "Albert la galoche, la terreur des Ardennes, mon pote, le roi des cons." Il existe à priori un autre volume, stick label jaune avec une autre sélection.

09 novembre, 2005

QUE DU FEU / Nina Morato


Cheveux blonds platine, robe rouge en crêpe de soie sur hautes bottes dorées, longs rubans rouges tombant des poignets et gentils messieurs à ses côtés : ces deux derniers soirs au Ciné 13 de Montmartre, Nina Morato chantait.
Tantôt enveloppée d'un drap écran comme d'une burka, tantôt enlacée d'un boa sidérurgique, elle va et vient dans son installation, un bric-à-brac ciné-kitsh : claviers vintage, projecteurs super 8, lampes torches et papiers flash, poupée ibérique et automate touristique, fausse fourrure et photophores...
Dans une apparente décontraction qui rappelle celle de Chan Marshall, elle joue avec l'approximation technique, hésite, s'emmêle dans les fils, provoque les rires du public, charme, provoque, minaude, s'exhibe, hurle.
Plus d'une heure sur le fil, où la voix surgit souvent en implorant. Parfaitement en place, cette voix charrie un grain de blues blanc, proche parfois de celui de Beth Gibbons dans le registre intimiste, et de Nicoletta quand il s'agit "d'envoyer". Les textes sont souvent bien taillés, ils parlent l'amour, le sexe et la mort.
Outre la voix singulière de Nina, on tombe sous le charme de ce cabinet de curiosités, un tantinet bobo diront les bobos, mais la taulière toujours au taquet - mi clown Brechtienne / mi vamp série noire Lynchienne -, évite l'écueil de la pose et impose une poésie en équilibre précaire sur le fil du destin.
Un spectacle qui mérite de grandir dans des conditions techniques moins étriquées, mais dont il faut absolument préserver les zones de dérapage et l'allure de brocante féérique.
À voir le nombre de merdes qu'on nous inflige, il est difficile de comprendre pourquoi une proposition aussi cohérente et originale n'est pas plus exposée. On voit d'ici les petits marquis de l'industrie prendre peur et parler d'ingérabilité, préférant les pates à modeler pré-pubères en forme de pouff et à voix de Vocoder.
Formons le voeux que Nina trouvera les moyens de se tailler un bout de route avec ce spectacle.
Cerise sur le gâteau, Tof était aussi de la fête. Lors d'un tête-à-tête en ombres chinoises sur l'écran dont elle s'enveloppera juste après, ils ont ouvert le show tous les deux, par une nouvelle chanson à tomber : "Que du feu", on brûle encore.

DÉRIVES


Des brisées de printemps traînent dans les arrières cours de l'automne. Les soleils de novembre sont trompeurs - l'hiver viendra -, mais au moins sont-ils comme une clémence pour tous ceux qui vivent dans la rue et que le froid finira par gagner. Alors, c'était toujours ça de pris ces jours-ci, dans les rues de Paris.

Hier Montmartre-Montparnasse avec détour par Oberkampf : au moins un lustre que je n'avais pas marché autant. C'est tellement grisant de rouler en scooter dans Paris qu'on en oublie les bonheurs des grandes dérives à pied. À pied déjà, pas de sens interdit : on peut nager hors du flux. On peut s'arrêter au gré des tentations, dénicher des cavernes, humer les passantes. En marchant, on chante, on siffle, on pense, on désire, on agence.
Conduire un scooter dans Paris réclame une vigilance aigue, assez peu compatible avec la flânerie et les questionnements métaphysiques. C'est ultrarapide, mais ça ne va jamais assez vite. Il faut toujours trouver une issue pour s'extraire au plus vite du trafic et s'échapper. C'est comme une cavale, une fuite, c'est plein d'adrénaline. On est vraiment tiré d'affaire quand on met la chaîne à l'engin.
Hier donc, ce fut comme des retrouvailles avec un autre temps où je marchais beaucoup. Je me suis rappelé un "Montmartre-Montparnasse" sous la neige des grèves de 1995, quand, avec la plus belle des compagnes, nous avions traversé Paris pour retrouver le délicieux Gilles Tordjman.
Et une chose en amenant une autre, la difficulté à "penser" les évènements tragiques qui agitent les banlieues ces jours-ci m'a conduit à relire une de ses chroniques justement, "Extinction du domaine de la lutte", parue dans les Inrockuptibles le 14 juin 1995 et compilée dans son livre "C'est déjà tout de suite".
Avec sa plume fine et redoutable, Gilles réagissait à l'expression "zones de non-droit"et à la coterie pro-banlieue émergeant dans le cirque médiatico-culturel à la sortie du film "La haine" : "De maudite, la banlieue est donc devenue motif d'anxiété et objet de désir; elle s'est pour ainsi dire érotisée."
Extraits :

"Le nouveau ministre de l'intérieur a inauguré sa tâche en réaffirmant le pouvoir de la police à aller partout pour que cesse d'exister ces "zones de non-droit" où même le plus Rambo des condés n'ose plus s'aventurer. L'expression ne serait qu'amusante si elle se contentait de remplacer en douce la Loi par le droit - comme si c'était la même chose -, mais il y a mieux. La "zone de non-droit" résume la fusion de la topologie et de la Loi et définit en creux une nouvelle discipline des sciences humaines : la géographie policière."

"Par comparaison, les émeutiers de Los Angeles qui sont allés casser
ailleurs que dans leurs quartiers font figure de fins stratèges. Mais tout le monde sait que Los Angeles était une répétition générale. Et que l'exemple américain n'est pas exportable, tant la différence de géographie urbaine y conditionne des formes d'action spécifiques."

"De périphérique, la banlieue est devenue centrale : elle occupe le centre de l'appareil médiatique en renforçant son pouvoir désirant. Dans la stratégie de séduction des masses, elle est désormais fétiche sexuel : la partie figurant le tout, l'appendice substitutif qui fixe la libido sociale."

"La banlieue est bonne, c'est un beau rêve de flic où la vie serait contenue dans des périmètres surveillés, des parcs à colères, des youpalas de révolte de bas âge. Et bien c'est justement parce que les "zones de non-droit" n'existent pas qu'elles doivent, de toute force être réduites. Amis des villes, amis des champs, la paix sociale est à vos portes."


Il est dix ans plus tard, les mêmes sont au pouvoir, et les voitures sont toujours inflammables. La banlieue ouvre tous les journaux télévisés, le niveau de violence s'est brusquement accru et le couvre-feu a été décrété.

(Cher Gilles je ne sais pas où tu es, ni comment tu vas. Je te lis dans Vibrations avec toujours la même émotion. Ton livre n'est jamais loin de mon réveil. Tu me manques, tu nous manques. Il faudrait quand même qu'une de ces nuits, nous repassions ensemble quelques David Sylvian et autres Léonard Cohen... Et que tu embrasses la petite Ruby-Lou que tu ne connais pas.)

07 novembre, 2005

I GOTH THE BLUES


De retour à Paris, j'ai remis les yeux sur cette photo prise lors du dernier concert de Tanger au Glaz'Art. J'avais invité Mister Eudeline à chanter "Mona et Ruby", un titre qui devrait figurer sur le nouvel album. Je me souviens avoir entendu des "Patriiiick !" hystériques qui rappelaient cette foutue époque où une grande majorité des pisseuses de France en avaient après Bruel... Je me souviens aussi avoir vraiment kiffé ce moment et d'ailleurs l'ensemble de ce concert. Tanger avait des dizaines de dates dans les jambes, c'était une machine de scène fantastique. Vivement la prochaine tournée.

Quant à Patrick, qui publie cet automne,"Goth", un beau livre fort documenté sur le romantisme noir et le mouvement gothique, profitons de cette note pour annoncer qu'en tant qu'auteur de "Gonzo" et de bien d'autres faits d'art, il est bien évidemment membre d'honneur et à vie de Château Gonzo, qui l'accueillera prochainement pour inaugurer une nouvelle dépendance...

Sur ma platine mentale : "La patte" de SSC, impossible de ce défaire de ce fichu gimmick depuis 3 jours...
En écoute "Lucky Dog Recordings 03/04" de Stuart Staples
En cours de lecture "L'empire Gréco-Romain" de Paul Veyne, croisé avec "Experimental music" de Michael Nyman dont la traduction française vient d'être publiée par les excellentes éditions Allia